Mithé espelt
1923-2020
La vie de Mithé Espelt est une véritable saga. Née en 1923 à Lunel, en Camargue, dans le sud de la France, elle est plongée très jeune par son grand-père, Edmond Baissat, dans un biotope inattendu. Ardent défenseur du parler provençal, aux côtés de son ami Frédéric Mistral -Prix Nobel de littérature- Edmond est en effet une figure importante de la vie artistique et intellectuelle locale. À Lunel, il immerge la petite Mithé dans la société (Cocteau, Bérard, Picasso etc.) de son voisin, Jean Hugo, et dans celle des nombreux écrivains et artistes qu’il fréquente. Fréquentations qui se révéleront décisives dans la structuration de la personnalité, la vision du monde, et la future posture artistique de la jeune enfant.
À l’Ecole des Beaux-Arts de Montpellier où elle est admise à moins de seize ans, Mithé sera rejointe par Valentine Schlegel (qu’elle a surnommée Linous) sa grande amie Sétoise. Trois ans plus tard, la visionnaire Emilie Decanis la sélectionne pour faire partie de la première promotion de l’école expérimentale de céramique de Fontcarrade, projet novateur destiné à former les meilleurs céramistes français de sa génération.
Puis Mithé s’installe à Paris pour travailler dans l’atelier de Nathalie Pol, céramiste-boutonnière renommée à l’enseigne de « Atelier Lydia Chartier ». En ces temps de guerre, les boutons de peu permettent d’égayer la grisaille des jours. Chargée de réaliser les créations de Line Vautrin, elle va y rester deux ans et gardera toujours la nostalgie du souvenir ébloui de cette collaboration avec la grande artiste.
À la disparition de son père, en 1946, Mithé revient à Lunel pour s’occuper de sa jeune sœur, orpheline comme elle.
Elle a alors 23 ans et installe immédiatement un petit atelier de céramique dans lequel elle décline des poteries dans l’air du temps, élabore ses premières collections de bijoux et réalise les tout premiers petits miroirs. Emilie Decanis, qui avait repéré son talent à Fontcarrade et voit en elle l’un des jeunes espoirs de la scène céramique , l’intègre à de nombreuses expositions, en France et à l’étranger. Le succès est au rendez-vous :Mithé se retrouve en charge des collections de bijoux de la Maison Souleiado et réalise des commandes spéciales pour des clientes comme Louise de Vilmorin ou encore Poupette Vachon, la styliste de Brigitte Bardot à Saint-Tropez.
Mithé se marie en 1951. Ses enfants, Marion et Martin, viennent au monde en 1954 et 1955. Elle va mettre à profit ces années intermédiaires pour développer un projet artistique tout à fait original : adoptant une posture anonyme, elle décide de se consacrer à la réalisation de petits objets du quotidien féminin – bijoux, boites à bijoux, miroirs- et abandonne la poterie traditionnelle.
Car elle a décidé d’offrir à ces femmes qui viennent d’obtenir le droit de vote – mais n’ont pas encore celui d’ouvrir un compte en banque- la possibilité de choisir leurs bijoux et les accessoires du quotidien de leurs boudoirs.
Tout en les questionnant sur l’idée même de désir et de séduction et leur souffler à l’oreille que leur force pourrait bien résider dans cette forme de légèreté que les hommes leur attribuent.
Au long d’une longue carrière émaillée de l’or du succès et de rencontres extraordinaires l’exploratrice des reflets et des pièges de la séduction a su créer un style inimitable, celui d’une œuvre libre et d’avant-garde faite de grâce et de légèreté. Et l’ensemble époustouflant de bijoux, de petits miroirs et de ces coffrets à secrets qui ont fait sa renommée n’en finit pas de surprendre et de ravir les amateurs du monde entier.
Mithé Espelt s’est éclipsée dans l’un de ces merveilleux sourires qui ont illuminé nos années de connivence en septembre 2020, au moment où paraissait la monographie « Mithé Espelt, le luxe discret du quotidien » sur laquelle nous avions travaillé ensemble avec tant de plaisir – réussissant ainsi à éviter la gloire jusqu’au bout – elle qui n’eut d’autre prétention que d’être un humble artisan. Car les mains du potier retournent à la terre lorsque les œuvres qu’elles ont suscitées témoignent pour toujours de leurs gestes enchanteurs.